OPINION: Se focaliser sur le SSPT

C’est méconnaître l’ampleur du problème de la santé mentale chez les pompiers

BY: Nick Halmasy

Cela fait plusieurs années déjà que le sujet du trouble de stress post-traumatique (SSPT) s’est imposé dans le discours public. On en sait aujourd’hui beaucoup plus sur ce qui était encore hier un secret de caserne. Le SSPT n’est plus ce sujet tabou dont on n’osait pas parler avec ses collègues. Et pourtant, peut-être même en dépit de ces connaissances, les services incendie n’ont qu’une compréhension limitée du problème.

Pire encore, les symptômes d’autres grandes pathologies se rejoignent avec le « chien noir » du SSPT et finissent par se confondre avec lui. Du coup, on pourrait presque croire que les pompiers sont résistants aux autres troubles de santé mentale. Ou que ces autres troubles ne sont qu’un SSPT mal diagnostiqué. J’ai souvent affirmé que selon certains, les pompiers (et les services d’urgence en général) sont devenus des « martyrs de la communauté » aux yeux des civils, des médias et des partisans de la santé mentale. Il semble que tous, jeunes recrues et anciens confondus, pensent que « ce n’est qu’une question de temps » avant d’en souffrir eux aussi.

Bien que cela soit ennuyeux en soi pour les professionnels de la santé mentale comme moi qui souhaitent une approche plus objective, je tiens plutôt ici à illustrer en quoi cette approche du « diagnostic unique » est problématique à d’autres égards.

Les chercheurs commencent aujourd’hui à noter un recentrage sur des approches plus holistiques. Comme l’a identifié ma collègue FIREWELL, Robin Campbell, dans sa synthèse de recherche sur la santé mentale, « il est nécessaire de modifier la culture des PSP et des chercheurs et de ne plus cibler uniquement le SSPT comme résultat de l’exposition au traumatisme ». Je fais écho à ce sentiment : c’est principalement pour cette raison que After The Call n’est pas un site « SSPT ». Espérons que ce recentrage naturel sur des solutions proactives, plutôt que réactives, nous conduira à la réalisation qu’il faut traiter l’ensemble des problèmes de santé mentale. Aujourd’hui pourtant, nous demandons aux pompiers d’attendre d’aller vraiment mal avant de demander de l’aide. Pourquoi sinon imposer un traitement pour le SSPT, mais pas pour les autres problèmes qui résultent du stress et de l’exposition au traumatisme?

Je suis membre de l’une des trois disciplines « psy » : psychothérapeutes (professionnels de la santé formés au soutien psychologiques), psychologues (docteurs chercheurs formés en psychologie clinique et habilités à diagnostiquer) et psychiatres (docteurs en médecine ayant une formation supplémentaire en santé mentale et habilités à diagnostiquer). La plupart des gens ne comprennent pas la distinction entre ces trois catégories. Elle est pourtant de toute importance : je reçois souvent des coups de fil de premiers intervenants désespérés qui me demandent un diagnostic de SSPT. Or en tant que psychothérapeute, mon champ de pratique n’inclut pas le diagnostic. Je ne comprends que trop bien ces appels paniqués d’individus qui souffrent visiblement. Et pourtant, il y a une raison pour laquelle les psychiatres et psychologues ne leur ont pas encore donné un diagnostic de SSPT.

C’est qu’ils ne répondent pas aux critères.

Je comprends. Si vous souffrez, vous devriez pouvoir obtenir de l’aide d’une manière ou d’une autre. Et pourtant, le clinicien et l’éducateur en moi voit bien que de diagnostiquer partout des SSPT risque de rendre le système (qui peine déjà à faire face à la demande) encore plus surchargé et incapable d’aider ceux et celles qui répondent à leurs critères stricts. Il est possible de poser un diagnostic ou de souffrir de problèmes de santé mentale autres que le SSPT. Mais pour le moment, le signal qu’on envoie, c’est que cela n’est PAS acceptable. D’après ce que je peux voir, le désespoir se fixe alors sur deux points extrêmement importants :

La culture n’accepte pas qu’un pompier reçoive un diagnostic autre que celui de SSPT et;

Le gouvernement refuse d’épauler les premiers intervenants qui n’ont pas obtenu un diagnostic de SSPT.

L’inévitable se produit alors : les gens se sentent obligés de demander un diagnostic de SSPT. À situations désespérées, mesures désespérées.

C’est là que nous n’avons rien saisi.

En tant qu’éducateurs : Nous n’avons pas saisi que, même si le SSPT est un problème très grave avec lequel on ne plaisante pas, ce n’est pas ce dont souffre la plupart des gens. Il s’agirait plutôt de former les professionnels à identifier la genèse des problèmes de santé mentale. Une bonne formation permettrait de contrer l’engouement actuel pour le SSPT, en incluant ce que ressentent les gens physiquement et émotionnellement, ainsi que les pensées qui surgissent lorsque le stress commence à se faire sentir.

En tant que leaders : Nous n’avons pas saisi que le SSPT n’est qu’un problème de santé mentale parmi tant d’autres. Alors que ce diagnostic entraîne un coût énorme en raison des congés de maladie accordés aux individus en souffrant, une éducation sur le seul sujet du SSPT ne garantit pas sa prévention efficace. Des années d’études sur le comportement des incendies ont montré que les choses n’évoluent pas toujours de manière linéaire et qu’il faut contrôler plusieurs facteurs à la fois pour lutter efficacement contre un incendie. Par analogie, il faut éduquer les leaders sur la nature du stress, le traumatisme et toute la gamme des problèmes de santé mentale. Parfois, il suffit pour un premier intervenant de bien comprendre en quoi certaines mesures d’adaptation (p. ex., se distraire de quelque chose de difficile ou de désagréable ou l’éviter entièrement) sont mésadaptées pour éviter d’être happé par le SSPT. Cela lui permettra peut-être même d’acquérir une bonne dose de résilience.
En tant que pompiers de première ligne, nous n’avons pas saisi : « Fais avec et continue »; « Sois cynique »; « Prends sur toi »; « Du cran! ». Ces adages sont standard dans la culture de la lutte contre l’incendie, mais ils sont nuisibles. Et si nous arrêtions d’essayer de mettre en œuvre une définition mal comprise du « stoïcisme » et cherchions à apprendre à des individus, qui ont appris via leur culture et leur communauté à réprimer et à oublier, comment plutôt décloisonner des expériences affectives standard? Cela exigerait de nous de regarder bien en face des émotions pénibles et difficiles à gérer. Mais paradoxalement, c’est en les regardant en face qu’on peut les surmonter.

Et si nous adoptions une approche différente? Si nous cherchions plutôt à traiter de manière proactive les problèmes de santé mentale, où qu’ils tombent sur le continuum? Si nous cherchions même à traiter efficacement nos pompiers dès le début du continuum? Je me demande si cette approche n’aiderait pas à réduire le nombre de confrères et de consœurs qui souffrent et luttent mentalement.

Visiblement, notre approche actuelle ne fonctionne pas. Il existe de nombreux services où les pompiers peuvent demander de l’aide, mais l’incidence du SSPT ne semble pas vouloir ralentir. Je ne dis certainement pas qu’il faut détruire que ce que nous avons bâti. Au contraire, nous devrions continuer à bâtir, de manière latérale, pour mieux comprendre la vaste gamme des problèmes de santé mentale qui existent dans les casernes.

 


A PROPOS DE L’AUTEUR : Nick Halmasy est un ancien pompier et instructeur incendie qui a dix ans d’expérience professionnelle. Il a complété une maitrise en psychologie du counseling et est psychothérapeute autorisé avec une expertise pratique en santé mentale des premiers intervenants. M. Halmasy a lancé After the Call pour élaborer et diffuser des ressources de santé mentale gratuites pour les premiers intervenants et leurs familles.