OPINION : Quand un mème néfaste s’embrase sur les médias sociaux

Comment éduquer les pompiers à lutter contre la diffusion de fausses informations

BY: Nick Halmasy

Les occasions ne manquent pas dans un service incendie d’éprouver un sentiment d’échec. En raison de la nature rapide et imprévisible du travail (du secours médical à l’incendie d’immeubles), l’échec fait partie de notre lot quotidien. Nous luttons contre le destin tout en nous y résignant humblement. L’échec est le plus cuisant lorsqu’il y a perte de vies. Ce sont là de dures leçons, mais qui ne sont que trop nombreuses dans notre métier.

Depuis que j’ai quitté le service pour m’occuper de santé mentale, j’ai rarement éprouvé de telles émotions si intenses. Certes, certains de mes patients n’ont pas beaucoup progressé entre mes mains. Après tout, la thérapie n’est pas chose facile et les patients n’y sont pas tous prédisposés – et un même thérapeute ne saurait d’ailleurs convenir à tout le monde. J’en conviens aisément. Il s’agit d’une dance intime dans laquelle doivent s’investir le client et le clinicien. Bien entendu, j’éprouve ce sentiment à un certain degré lorsque je sens que mes efforts sont sans effet. Mais aujourd’hui, comme un incendie qui tire, c’est un sentiment grandissant et qui n’a en l’occurrence rien à voir avec ma profession.

Il s’agit de la manière dont nous éduquons nos pompiers.

Étant adepte des médias sociaux, je suis régulièrement exposé à toutes sortes de photos ou d’images se disant « information santé ». Jusqu’ici, j’ai toujours laissé passer. Vous aussi, peut-être. Vous vous dites, comme moi, qu’il n’est sans doute pas grave de croire que le sauna aide à « éliminer les toxines du corps », mythe réfuté par la chercheure Jennifer Keir, puisque la recherche scientifique en a prouvé une pléthore d’autres bienfaits… Je pourrais citer bon nombre d’autres exemples du même genre.

J’ai rédigé un article en réponse à un mème qui prétendait que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est une blessure qui produit des changements physiques dans le cerveau. Ce mème, relativement inoffensif, marquait le début d’une tendance. J’ai vite réalisé que mon absence d’objection jusque là avait contribué à l’ampleur prise par ce phénomène d’une opinion présentée comme un fait. J’ai clairement expliqué ailleurs ma position concernant le SSPT et je ressens relativement peu de remords car selon moi, si le fait de penser qu’il souffre d’une « blessure » peut aider psychologiquement un premier intervenant, tant mieux pour lui. Je ne reproche pas aux pompiers de croire qu’il s’agit d’une blessure, puisque qu’on le leur dit sans cesse. La raison de ce changement de libellé, à ma connaissance, tient davantage de la pensée sociale que du savoir scientifique. Or ce phénomène social ne vous empêche pas forcément de recevoir l’aide et le soutien dont vous avez besoin.

À mes yeux, le débat blessure/trouble n’en est pas un. Nous, les éducateurs, n’avons pas su illustrer comment fonctionne le cerveau, comment il est façonné par nos expériences. Et bien qu’il soit facile d’affirmer que le tabagisme est une blessure auto-infligée, qui cause des dommages physiques, il serait tout à fait exagéré d’en dire autant de l’usage chronique de jeux vidéo ou de l’obésité. Pourtant, nous savons que ces comportements néfastes causent des dommages comparables, voire plus importants, aux structures cérébrales impliquées que ceux causés par le SSPT.

Depuis la publication de mon article, un autre mème encore plus néfaste est apparu et a été largement diffusé. Cette nouvelle affiche de santé se dispense carrément de telles frivolités que la recherche factuelle. Elle va droit au but et affirme, pour paraphraser, que si vous souffrez de tout autre chose que de « BSPT », vous êtes né ainsi. Elle présente cela à tort – à moins que j’aie manqué de nouvelles recherches révolutionnaires – comme un fait. Aucune discussion concernant les vulnérabilités ou les prédispositions; aucune nuance rappelant le fait que l’inné et l’acquis convergent et qu’une santé mentale languissante est due à l’interaction d’expériences environnementales particulières et de certaines attitudes cognitives. Il s’agit de génétique, d’environnement, de processus cognitifs et de malchance pure et simple.

Tout cela pour dire que la prolifération de telles affirmations basées sur une opinion est révélatrice de notre manquement à communiquer efficacement sur la science, la recherche et les conclusions que nous en tirons. C’est un risque du métier qu’un article dévoyé ou aberrant surgisse et nous fasse douter de nos convictions et vérifier nos théories. C’est peut-être même cette tension qui nous fera découvrir des lacunes dans nos travaux et mettra au jour nos préjugés. Mais le mal s’est déjà infiltré, rapidement et sans possibilité d’appel, dans les mouvements sociaux des pompiers. En effet, les pompiers bienveillants et de bonne foi risquent de partager sans réfléchir un poster éducatif en apparence innocent, en se disant que c’était « le moins qu’on puisse faire ».

Or si on ne leur enseigne pas l’esprit critique et les bases de la psychoéducation, nos pompiers bien intentionnés et si prêts à soutenir leurs collègues pourraient donc diffuser des documents stigmatisants et nuisibles en pensant aider.

En fait, « le moins qu’on puisse faire » est peut-être d’essayer de corriger le tir en aidant à démasquer cette désinformation.

 


A PROPOS DE L’AUTEUR : Nick Halmasy est un ancien pompier et instructeur incendie qui a dix ans d’expérience professionnelle. Il a complété une maitrise en psychologie du counseling et est psychothérapeute autorisé avec une expertise pratique en santé mentale des premiers intervenants. M. Halmasy a lancé After the Call pour élaborer et diffuser des ressources de santé mentale gratuites pour les premiers intervenants et leurs familles.