Ne perdons pas de vue le stress organisationnel dans les services incendie
BY: Nick Halmasy
On a longtemps considéré que la souffrance des pompiers était principalement liée à leurs expériences sur le terrain. Les histoires que l’on entend parlent d’un traumatisme initial qui déclenche des symptômes particuliers. Il est indéniable que ce que vivent les pompiers sur le terrain peut conduire à divers problèmes de santé mentale. C’est ce qui est conceptualisé sous le terme de « stress cumulatif », cette accumulation dans le temps de facteurs de stress. Mais il ne faudrait pas négliger cet autre ensemble de facteurs de stress sans lien direct avec leurs tâches professionnelles auxquels sont également confrontés les pompiers.
Nos institutions elles-mêmes contribuent au stress, mais la plupart évitent de reconnaître cette réalité. Or il serait grave de perdre complètement de vue l’impact du stress organisationnel. Nous risquerions en effet de passer à côté d’une grande portion des causes de détresse mentale chez nos membres et de négliger un vaste domaine où nos efforts de soins préventifs peuvent aider les pompiers à devenir plus résilients.
On entend par stress organisationnel les facteurs de stress auxquels sont exposés les pompiers en dehors des tâches pour lesquels ils sont principalement employés. Ces facteurs sont néanmoins directement liés au rôle professionnel (p. ex., perturbations du sommeil (Sawhney et al., 2018), salaire, interaction avec les collègues, hygiène de vie problématique, ennui (Beaton & Murphy, 1993)), mais sont considérés comme secondaire au travail. Certains d’entre eux découlent des exigences du métier (p. ex., paperasse après incidents, suivi avec les supérieurs hiérarchiques, enquêtes opérationnelles ou judiciaires après incidents), mais pourtant on ne discute que rarement de leur impact sur la santé mentale des pompiers.
Une étude par Sawhey et al. (2018) a révélé que les pompiers discernent une corrélation positive entre stress professionnel et symptômes de problèmes de santé mentale – à mesure que les facteurs de stress professionnels augmentent, les troubles mentaux se multiplient. Montano et al. (2016) ont étudié les employés de leaders de styles différents et ont découvert que les leaders de style « destructif » (p. ex., autoritaires, manipulateurs, agressifs, etc.) causent plus de stress chez leurs employés. L’étude conclut aussi que les employés ont tendance à s’en prendre à des tiers ou à leurs collègues dans des situations où ils ne peuvent pas contre-attaquer directement.
Certaines recherches suggèrent également que le stress opérationnel est foncièrement différent, si bien qu’il faut prendre au sérieux les mécanismes permettant de lutter contre ce problème. L’étude de Teoh et al. (2020) sur les indicateurs de stress chez les pompiers montre que certains traits qui permettent de mitiger effectivement les facteurs liés au travail ne permettent pas de mitiger les facteurs de stress opérationnel. Ces résultats suggèrent qu’il faut adopter une approche autre lorsqu’on étudie le milieu de travail.
Il est possible de quantifier l’impact qu’une organisation peut avoir sur quelqu’un qui travaille pour elle. Mais la caserne de pompiers n’est pas un lieu de travail ordinaire. Les gens avec lesquels nous travaillons sont souvent bien plus que des collègues. Qu’il s’agisse du fort sentiment de camaraderie et d’appartenance à une communauté chez les volontaires, ou des relations étroites que l’on peut tisser avec son équipe pendant un quart de 24 heures, nous avons souvent des liens avec nos collègues que le monde extérieur ne peut comprendre. Et la recherche le prouve.
Par exemple, des études de plus en plus nombreuses montrent que la croissance post-traumatique — la guérison d’une situation traumatique — a pour effet de rendre les gens plus forts et plus résilients qu’ils ne l’étaient avant le traumatisme (Despotes et al., 2016). De plus, le sentiment d’appartenance à une organisation peut renforcer cet effet. L’étude d’Armstrong et al (2015) sur le sentiment d’appartenance a découvert que la force de l’appartenance est un facteur de médiation contre les stresseurs organisationnels que peuvent ressentir les gens. Cependant, leurs recherches n’identifient pas si l’appartenance permet de mitiger tous les facteurs organisationnels ou seulement certains d’entre eux. Si le leadership est perçu comme exécrable par les employés, est-ce que le sentiment d’appartenance à la culture des pompiers est assez fort pour vaincre ce que se passe à la caserne? Cette recherche reste à mener, mais je soupçonne qu’il s’agit d’un type de stresseurs particulièrement puissant.
Tout cela peut sembler un débat stérile si vous êtes pompier au front. Il est possible que vous ne puissiez pas changer grand-chose au niveau de votre organisation et de l’effet négatif qu’elle a sur le service dont vous faites partie. En quelque sorte, je m’adresse ici plutôt aux leaders. Et pourtant, il y a toujours quelque chose que les gens du terrain peuvent retirer de tout ceci. Dans une étude récente sur des pompiers britanniques, Payne et Kinman (2020) ont identifié des façons efficaces de mitiger certains stresseurs opérationnels. Ils ont notamment découvert que le fait de réfléchir à comment résoudre un problème professionnel en dehors des heures de travail permet de réduire la détresse créée par les conflits au travail. Par contre, le fait de simplement ressasser le problème lui-même, sans chercher à trouver une solution, aboutit à un résultat exactement contraire : une détresse accrue. En fait, Payne et Kinman concluent qu’il s’agit là de l’un des « indicateurs les plus forts » d’anxiété liée au travail. La recherche de solutions efficaces aux problèmes, plutôt que de ruminer sur l’impasse dans laquelle on se sent coincé, est une voie viable vers une meilleure santé mentale.
La santé mentale dépend de bien plus que l’exposition à un événement ou à une série d’événements traumatisants. C’est un risque bien plus global et large auquel on ne peut échapper, même lorsqu’on est rentré à la caserne ou chez soi pour se reposer. Les recherches indiquent clairement une tendance vers un système intégré de bien-être mental qui ne s’interrompt pas à la fin du quart de travail.
Le bien-être mental ne se définit pas comme la capacité à résister aux stresseurs et aux traumatismes, même si cela en fait partie. Le bien-être mental est plutôt la capacité à comprendre que vous faites face à des stresseurs et d’agir en fonction de ce dont vous avez besoin, en vous ajustant au niveau de stress que vous subissez. Il est impératif d’avoir de bonnes connaissances en matière de santé mentale. Mais vous devez également créer votre propre plan de bien-être mental pertinent et continu. N’attendez pas de développer de problèmes graves avant de demander un soutien. La route sera alors plus longue et plus difficile. On omet trop souvent de nos conversations la responsabilité personnelle du bien-être. Mais cette approche proactive peut contribuer grandement à vous protéger contre les effets néfastes du stress, qu’il soit opérationnel ou professionnel. Elle pourrait faire la différence entre une guérison rapide et des problèmes qui languissent, parce que vous êtes tombé bien plus bas.
Pour les leaders, il faut une prise de conscience. Nombre d’entre vous avez passé toute votre vie sur le terrain et avez sacrifié une grande partie de votre vie personnelle et familiale à votre vocation. Cela est bien entendu admirable. Mais portez-vous encore les cicatrices des leaders qui vous ont précédé? Avez-vous appris à mener en suivant l’exemple de quelqu’un qui présentait les comportements destructeurs identifiés ci-dessus? Les problèmes que nous voyons ne tiennent souvent pas à une seule pomme pourrie, mais à tout un tonneau de ces mauvaises pommes. Alors, si vous savez que le moral est bas, si vous entendez dire que vos subordonnés vont mal, faites ce qui est en votre pouvoir pour identifier les causes du problème et les rectifier. Un bon leader est quelqu’un d’humble et non seulement quelqu’un qui sait innover ou obtenir des résultats. Votre personnel dépend de ces changements et vous êtes le seul à pouvoir les effectuer.
Références:
Armstrong D, Shakespeare-Finch J, & Shochet I. (2016). Organizational belongingness mediates the relationship between sources of stress and posttrauma outcomes in firefighters. Psychological trauma: theory, research, practice, and policy, 8(3), 343.
Beaton RD, Murphy SA. (1993). Sources of occupational stress among firefighter/EMTs and firefighter/paramedics and correlations with job-related outcomes. Prehospital and Disaster Medicine, 8(2), 140-50.
Despotes AM, Valentiner DP, & London M (2016). Resiliency and Posttraumatic Growth. The Wiley Handbook of the Psychology of Mass Shootings, 331-349.
Montano D, Reeske A, Franke F, & Hüffmeier J. (2017). Leadership, followers’ mental health and job performance in organizations: A comprehensive meta‐analysis from an occupational health perspective. Journal of Organizational Behavior, 38(3), 327-350.
Payne N, Kinman G. (2020). Job demands, resources and work-related well-being in UK firefighters. Occupational Medicine (Lond). pii: kqz167. doi: 10.1093/occmed/kqz167. [Epub ahead of print].
Sawhney G, Jennings KS, Britt TW, & Sliter MT (2018). Occupational stress and mental health symptoms: Examining the moderating effect of work recovery strategies in firefighters. Journal of Occupational Health Psychology, 23(3), 443–456.
Teoh KRH, Lima E, Vasconcelos A, Nascimento E, Cox T. (2020). Trauma and work factors as predictors of firefighters’ psychiatric distress. Occupational Medicine (Lond). pii: kqz168. [Epub ahead of print].
A PROPOS DE L’AUTEUR : Nick Halmasy est un ancien pompier et instructeur incendie qui a dix ans d’expérience professionnelle. Il a complété une maitrise en psychologie du counseling et est psychothérapeute autorisé avec une expertise pratique en santé mentale des premiers intervenants. M. Halmasy a lancé After the Call pour élaborer et diffuser des ressources de santé mentale gratuites pour les premiers intervenants et leurs familles.